Belgique, Flandre, Roman

La langue de ma mère

Tom Lanoye, La langue de ma mère

L’auteur flamand Tom LANOYE raconte la vie de sa mère dans un récit foisonnant. C’est l’histoire de sa mère qui, à la suite de plusieurs accidents cérébraux, a perdu sa langue, sa dignité, et la vie. C’est l’occasion de dresser le portrait de sa maman, personnage haut en couleur, mais c’est aussi le récit de sa vie passée dans le Pays de Waas dans la boucherie que tient son père. Le tableau montre une Belgique fort attachante.

Sans parole

“Sprakeloos” est le titre original en néerlandais, qui veut dire littéralement sans parole. Une histoire sans parole, qui se passe de mots : on comprend vite le destin tragique de cette femme de boucher qui pratique le théâtre amateur et porte haut le verbe, avec faconde et panache, pour occuper le devant de la scène ou comme maîtresse de maison.La mère est ici celle qui est le verbe, qui incarne la parole, abondante comme une nourriture.Même quand elle se tait, après une dispute familiale, son silence en dit long; elle se tait avec éloquence. Elle est un personnage, sur la scène d’un théâtre ou devant les clients du magasin, lorsqu’elle honore une commande. Il faut lire ces pages qui la décrivent préparant des milliers de zakouskis pour une cérémonie locale. Toute la famille est réquisitionnée et elle orchestre son petit monde comme le ferait un metteur en scène. On découvre le tableau haut en couleur d’une kermesse héroïque où verbe et nourriture se confondent encore.Elle est la parole, le mot. Le père, la chair, comme boucher. Lui est silencieux, réservé, effacé, dans la configuration de la famille, même si ici l’auteur lui rend hommage. Ce livre est aussi le livre du Père.Et c’est aussi pour l’auteur l’occasion de parler de soi, tout autant que de parler de sa mère aphasique ou de son père amoureux de sa femme.

Le mentir vrai

Tom LANOYE emploie sa langue maternelle, une langue riche pour parler de sa mère qui perd brusquement l’usage de la parole… Des digressions nombreuses donnent l’occasion à l’auteur de faire le portrait de personnages hors du commun – Dikke Liza, Elvis, Wivina la spirite, … et tout d’abord de sa maman théâtrale.

“Tous dans cette pièce, elle incluse, sait fichtrement bien qu’elle berne son monde, qu’elle veut montrer qui est le chef et fait le focing pour asseoir son autorité grâce au procédé qu’elle manipule le mieux : la fiction vécue. Suivant sa logique propre, si l’on prétend mordicus qu’une chose pourrait constituer une vérité, elle cesse d’être un mensonge.” (p.164)

Fiction vécue, roman vivant. C’est la devise que l’auteur reprend à son compte en nous livrant ici une histoire passionnante.

Une langue qui n’a pas peur des mots

C’est la vie de l’auteur autant que celle de sa maman; la langue qu’il emploie autant que celle de sa mère. Une langue abondante, riche, luxuriante, qui n’a pas peur des mots. Cela donne une littérature truculente, dont on se régale. Nous sommes loin ici de ces récits parcimonieux (le syndrome d’anorexia nevrosa litteraria, p. 298). rejetés avec ferveur. C’est une profession de foi romanesque, un vrai manifeste qui nous convainc aisément.

“Je regrette beaucoup mais je dis non aux écrits scrupuleusement parcimonieux. Même pas par vocation ou par élan doctrinaire. Je dis non parce que l’anorexie dans l’écriture serait une trahison à l’égard de mes sujets et de leur environnement. (…) S’il existe dix termes pour un seul et même phénomène, pourquoi donc quelqu’un comme moi n’en utiliserait qu’un au lieu de tous les dix?” (p.298)

Nous disons oui à cette littérature belge, très flamande, qui s’apparente à l’art de servir en boucherie:

“Je suis le rejeton tout craché d’une culture du “Je vous en mets un peu plus, madame?” (p. 301)

Une littérature organique, semblable à de la chair crue encore tiède, comme dans le dernier récit de Dimitri VERHUSLT. Quand il s’agit ici pour LANOYE de parler de sa mère privée de parole, qui a perdu sa … langue, la forme rejoint le fond.—– 

Livres du même auteur:

Repris sous:Belgique, Flandre, Roman
Références: La langue de ma mère, La Différence, 2011, 393 p.
- titre original "Sprakeloos"
- traduit du néerlandais par Alain van CRUGTEN

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