France, Photo

Errance

Errer, aller çà et là, à l’aventure; aller de côté. C’est une conduite, sans but déclaré. C’est l’attitude même du photographe au travail qu’éclaire ici DEPARDON en nous livrant des réflexions diverses et des prises de vue magnifiques.

Philosophie de la photographie

A l’égal des écrivains voyageurs, de chroniqueurs globe-trotter, de reporters toujours sur les routes aux quatre coins du monde, Raymond DEPARDON est ici photographe philosophe, rendant compte de sa création en œuvre en rapportant de ses pérégrinations des captures de moments rares.A l’opposé du photo-journalisme avec ses prouesses de cadre et la virtuosité de l’instant, le photographe ici erre plus qu’il ne voyage ou ne recherche; la photo s’impose à lui, sans but particulier, au cours d’une errance proche de l’égarement. C’est de l’ordre de l’erreur, comme faire fausse route, lorsqu’il photographie le monde sous ses yeux, sans idée fixe. Il arrête le cours du temps, en un cliché, sans idée arrêtée.

“Il faut laisser l’image nous échapper, nous dominer presque.” (p.54)

Il faut vouloir se perdre, avec toujours cette interrogation lancinante : qu’est-ce que je fais là? (p.20), pour pouvoir mieux se retrouver.

“A un moment donné, on est en situation passive face à la forme” (p. 58)

qui naît d’elle-même, et dont rend compte le photographe.

Travailler dans la contrainte

Ce livre est né de la volonté de l’artiste de travailler à l’extérieur, dans un format vertical (portrait, non paysage), avec un appareil qui nécessite de la lumière (une grande “ouverture”, disent les spécialistes). Quasiment sans sujet, du moins sans personnages. Les règles de départ sont là. DEPARDON utilisera 10 ou 13 films par jour. Au-delà de ces particularités techniques, les contraintes assumées par l’artiste lui donnent une liberté qui donne lieu à de superbes vues au cadrage étonnant, dans un noir et blanc magnifié. La ligne d’horizon sur tel photo découpe l’image au milieu, faisant fi de la règle 1/3 – 2/3. Le jeu avec le hors-champ – ce qui n’est pas sur la photo, est étonnant: un poteau, un arbre, des coins de route, … Des fils apparaissent en l’air, mais que relient-ils, d’où et vers où?En s’éloignant ainsi des photos traditionnelles, l’artiste n’est jamais aussi près de l’art même de photographier. La bonne distance…

Trahir le réel

L’errance permet à l’artiste de “photographier des temps faibles” (p. 50), à l’encontre du reporter payé pour capter des temps forts, dans une tension perceptible –  ici règne la sérénité!

“Le propre d’un photographe, c’est de trahir le réel. Il faut simplement maîtriser cette trahison et il faut qu’elle soit en cohérence avec soi-même.” (p. 70)

Trahir, traduire. Le photographe traduit le réel en assumant sa trahison, sans culpabilité, au contraire. Il prend une vue et nous la livre pour donner à voir juste une image, mais quelle image! – et non l’image juste. Par tout ce qu’on y voit et tout ce qu’on n’y voit pas.

“Le cadre c’est le champ. C’est-à-dire que c’est le contraire du hors-champ. A travers le cadre, on sélectionne. On a un parti pris, on coupe, on ne montre pas, on sélectionne, on tue, on mord, on enferme une image, on donne à voir quelque chose et pas le reste. (…) le cadre, c’est l’élégance de l’image.” (p. 102)”Je donne à regarder, je suis assez abstrait, je n’informe pas, le sujet est absent.” (p. 112)

Un bonheur partagé

Sans personnage, alors que la personne représente l’échelle, sans rapport. DEPARDON n’est pas reporter – rapporteur. Pour voir le vide?L’errant, souvent considéré comme un homme de nulle part, est bien partout, et ça se voit dans ces photos. Jamais hors cadre, dedans. Ce plaisir-là est évident dans ces instantanés. C’est un plaisir partagé de le voir dans ce petit livre : un bijou!—–Raymond DEPARDON, Errance, ed. du Seuil, coll. Points, Paris, 2000, 183 p.

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