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Une vie à soi

Laurence Tardieu, Une vie à soi

Un dimanche, en automne 2011, Laurence Tardieu découvre l’œuvre de Diane Arbus au musée du Jeu de Paume à Paris. Quelque chose se passe lors de cette exposition, de telle sorte que l’auteure n’est plus la même par la suite.

Diane Arbus photographe

Diane ARBUS est cette photographe américaine, morte suicidée en 1971, qui a fait le portrait d’une Amérique différente, a parcouru New York à la rencontre de personnes, jeunes ou âgées, hommes ou femmes, en marge de la société. Des travestis, nudistes, nains ou géants, aliénés : des « freaks ». Le monde apparaît étrange, difforme, sous le regard de l’artiste new-yorkaise.

Laurence Tardieu voit dans les photographies de Diane Arbus des photos-miroirs, qui reflètent le passé de l’écrivaine, qui donnent à voir de manière générale la vie elle-même, où se voit aussi la solitude extrême de l’homme, l’ennui, le vide. L’artiste américaine est une photographe reporter, rapporteuse d’un monde différent auquel elle accède, et nous pas.

Sœur jumelle

Diane Arbus, autoportraitLa photographe a pour moyen son appareil photo, et atteint la vie intérieure de ces individus. L’appareil est le passeport lors de cette atteinte à l’intériorité d’autrui, comme le stylo pour l’écrivaine, un passe-partout.
La photographe devient un double, la sœur jumelle qui accompagne en pensée l’auteure et la soutient pendant plus de 2 ans dans un moment creux de son existence, un « passage à vide ».

L’auteure se rappelle sa vie à soi, dans une chambre pour elle, enfant, dans l’immeuble parisien appartenant à sa famille, mis en vente après le décès de son père. Telle cette « chambre à soi », dont parlait Virginia Woolf comme condition pour écrire, créer une œuvre littéraire (p.25). Elle découvre la pudeur et la honte qui a réduit son corps au silence, au malaise.

Comprendre, pas guérir

« J’aimerais comprendre. Cela ne changerait rien, sans doute, mais ça me consolerait peut-être de quelque chose. Quelque chose qui est là, tout au fond de moi. Je ne sais pas quoi, exactement. Je le sens, là (…). » (p.87)

Comprendre seulement, comme lors d’une psychanalyse. Pas guérir ni résoudre.

« Tes photos m’ont fait comprendre ce que je ressentais, et ne savais pas nommer. Chaque fois qu’on comprend un autre, qu’on le comprend de l’intérieur, on grandit de ce qu’il est. On devient plus vaste. » (p.144)

Analogie et corerespondance

Un livre extrêmement sensible, appartenant à cette littérature égotique, en compagnie d’Annie Ernaux ou Christine Angot, qui n’ont de cesse d’aller et venir du plus intime vers le général qui nous concerne tous, et puis revenir au plus particulier.

C’est un beau traité d’analogie, dans cette correspondance entre une écrivaine et une autre artiste qui, à l’égal d’écrivains comme Tennessee Williams ou Carson McCullers, sont des êtres hypersensibles. De ces gens qui titubent et vacillent en avançant, parce qu’ils perçoivent la sauvagerie du monde environnant plus que d’autres personnes. Parce qu’ils captent des éléments invisibles aux yeux des autres et se révèlent écorchés vifs, à l’encontre des autres, les normaux pensants, ceux qui sont dotés d’une carapace protectrice.

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