Autobiographie, Enfance, France, Homosexualité, Intime, Roman

En finir avec Eddy Bellegueule

Edouard LOUIS, En finir avec Eddy Bellegueule

Un homme en colère. Un garçon jadis rejeté, stigmatisé, renie aujourd’hui son passé. Le fils prodigue revient sur ses origines dans ce récit sans concession. L’enfant indigne revient, par écrit, dans son milieu social précaire, sa famille alcoolique et violente, pour mieux en réchapper. Revenir pour mieux repartir, encore une fois.

 De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux.” (p. 13)

Eddy Bellegueule est aujourd’hui un homme de 23 ans; il assassine le garçon qu’il a été, ou plutôt celui que les autres ont voulu qu’il soit : un enfant efféminé, un “pédé”, le mauvais numéro, le vilain petit canard noir. Le regard des autres, les mots qu’ils emploient à son égard sont les stigmates qui marquent un être de façon cruelle. Le garçon, bouc émissaire d’une famille ou d’une communauté, fait l’objet d’un rejet. Il est victime d’une violence verbale (l’injure) ou physique (harcèlement, bagarre) qui stigmatise. De ce rejet doit résulter un éloignement volontaire, accepté par le sujet, pour réserver un salut. Éloge de la fuite : dans une autre école, une autre ville, une autre vie.

Tableaux noirs

L’auteur fait le portrait d’un milieu en une vingtaine de tableaux hauts en couleur, mais où domine le noir… Quelle noirceur! Le père, la mère, la fratrie et tous les autres y passent. C’est la vie du jeune garçon perçu comme différent dont on lit la description. Nous sommes en Picardie, où règne une imbécilité crasse, liée aux origines sociales précaires. Toute une communauté, une famille vit dans la pauvreté financière ou intellectuelle. Cette indigence souligne la différence du jeune garçon chétif, déviant, participant au procédé d’exclusion. La différence se marque dans les mots, les allusions, les insultes; dans le regard, les considérations muettes. La violence se manifeste dans le langage – l’injure, puis dans les geste – les coups. Les gestes sont joints à la parole…

Bouc émissaire

Père alcoolique, mère volubile, fratrie imbécile; école, camarades, personne n’est épargné. Eddy, le narrateur, est l’étranger en Picardie. C’est le bouc émissaire dont l’exclusion fonde et unifie le groupe dont il est exclu. C’est l’illustration parfaite, brillante, sensible, des théories sociales de René GIRARD.Dans sa théorie du bouc émissaire, Girard rappelait le mythe d’Oedipe qui fût chassé de Thèbes dans un esprit sacrificiel. Dans La Violence et le Sacré (René GIRARD, 1972), la tragédie représente la recherche d’un bouc-émissaire pour le charger mythiquement de la responsabilité des maux de la cité, symbole de la désorganisation par des crimes de confusion sociale (parricide puis inceste pour Oedipe, inversion ou homosexualité pour Eddy?). La société communie dans l’expulsion de ce bouc émissaire, ce qui apporte la pacification dans la cité.

Écriture magnifique

La langue est magnifique, camusienne: les phrases sont courtes, les dialogues rentrés sous forme d’incises.

“À force d’injures et des remarques de mon père, j’avais donc fini par me rapprocher de quelques garçons du village. Si je les appelais les copains, ma bande, il était évident que c’était un fantasme que j’exprimais et que j’étais plutôt un élément isolé qui gravitait autour d’eux. Jamais je ne parvins à complètement m’intégrer aux cercles de garçons. Nombreuses étaient les soirées où ma présence était soigneusement évitée, les parties de football auxquelles on ne me proposait pas de participer.” (p.121)

Il pourrait s’agir de variations sociologiques brillantes qui font le procès d’un milieu : l’auteur est sociologue adepte de Pierre BOURDIEU. Mais le récit se double d’un roman excellent qui pourrait s’intituler “L’étranger”, loin du soleil d’Algérie, plongé dans la grisaille de la Picardie.

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