Chronique, Israël, Nouvelles

Scènes de vie villageoise

Amos Oz, Scènes de vie villageoise

Oz est un magicien qui transforme les petits riens de la vie, les éléments dérisoires du quotidien, pour former, une fois assemblés, la description de la figure humaine. C’est simple, léger – l’auteur a l’art de ne pas y toucher, mais dans l’ensemble profond, touchant, extrêmement attachant.

Congrégation humaine

L’écrivain est ici le “congrégateur” qui réunit les personnages de ses récits, celui qui assemble les petits bouts de l’existence, les menus épisodes de la destinée humaine, pour créer un recueil de nouvelles, un ensemble protéiforme, un portrait de la personne humaine. On est in fine membre de facto de sa congrégation.

Kaléidoscope

De quoi s’agit-il ici? Nous sommes en Israël, à Tel-Ilan, qui ressemble à la Provence ou à la Toscane, prisée par les touristes ou les investisseurs. Nous y rencontrons différentes figures

  • Ariel Zelnik, abandonné autrefois par son épouse, vit seul avec sa mère. Il reçoit un promoteur immobilier intéressé par la vente de sa demeure.
  • Gili Steiner, médecin généraliste, célibataire, dure, sèche, attend en vain l’arrivée de son neveu Gideon,  à l’occasion d’une permission. Vieille fille de 45 ans, elle s’inquiète de ne pas le voir arriver.
  • Un ancien député de 86 ans, Pessah Kedem, vit chez sa fille Rachel, en compagnie d’un jeune étudiant arabe installé dans le fond du jardin. Il s’interroge à propos des bruits de creusement qu’il entend tous les soirs? Deviendrait-il sénile?
  • Yossi Sasson, agent immobilier, se rend un soir à la vieille maison d’Eddad Rubin, écrivain connu, pour une éventuelle transaction. Yardena, belle jeune fille de 25 ans, venue étudier dans la vieille demeure familiale, le reçoit seule. Elle fait avec lui le tour du propriétaire, et le mène de couloirs et réduits jusque dans la cave.
  • Béni Avni, le maire du village, marié avec deux enfants, reçoit un mot écrit de sa femme, qui a disparu : “Ne t’inquiète pas pour moi.” La lecture de ce court billet énigmatique l’affole au contraire.
  • Kobi Ezra, adolescent de 17 ans, poursuit timidement Ada Devash, la factrice et bibliothécaire municipale de 30 ans, divorcée. Il s’est promis de se déclarer auprès d’elle ce soir, au guichet de la bibliothèque.

“Ada?- Oui?- Puis-je vous poser une question indiscrète?- Bien sûr.- Vous est-il arrivé d’aimer quelqu’un sans espoir?Ada, qui avait immédiatement compris où il voulait en venir, balançait entre son affection pour le garçon et ménager sa sensibilité. Entre les deux, une pulsion obscrure la poussait à céder.” (p.161)

  • Un vendredi soir en hiver, les amoureux de la chanson hébraïque se réunissent chez Dahlia et Abraham Levine, qui ont perdu il y a quelques années leur fils unique, suicidé. Tous les protagonistes de ce recueil se croisent à cette occasion.

Touche fantasque

Ici et là, une nouvelle se termine sur une légère note fantastique, par un épisode fantasque, qui donne au récit une allure étrange. Une sorte de clin d’œil de l’auteur, un coup du sort inattendu qui laisse la fin de chaque histoire complètement ouverte. L’agent immobilier se laisse enfermer dans la cave par la jeune et belle Yardena, heureux de voir la porte se refermer derrière lui. Rachel entend elle aussi ces bruits bizarres de creusement en-dessous de sa maison, la nuit tombée. Le maire de la ville, après la disparition inexpliquée de son épouse, reste prostré, assis sur un banc, en attendant que quelque chose se passe.Une légère distorsion dans le cours du réel, un impromptu étonnant qui vient distraire le déroulement du récit, et souligne plus encore la déréliction qui marque in fine la vie de chaque personnage.Inévitable solitude humaine décrite de main de maître.

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Références: Scènes de vie villageoise, Gallimard, 2010, 203 p.
- titre original "Tmounot Mekhayei Hafkar" paru en 2009
- traduit de l'hébreu (Israël) par Sylvie COHEN

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