Absurde, France, Roman

L’étranger

Albert CAMUS, L'étranger

Roman lu et relu, trop connu, et pourtant magnifique. Dans ce court récit, tout le nouveau roman des XX et XXIèmes siècles est contenu en condensé. Une histoire âpre, des phrases courtes, un style direct; un personnage, vivant, tragique, et une vision du monde.Meursault est un homme ordinaire, employé dans un bureau en Algérie française. Il enterre sa mère, sous un soleil accablant. Il côtoie des voisins, entretient une relation avec une femme, tue par accident un Arabe, est condamné à mort. Tout s’enchaîne avec indolence, presque naturellement, sans prévenir, sans coup férir – si ce n’est le coup de feu qui cause la mort d’un homme sur la plage.

Étranger à soi-même

L’étranger, c’est Meursault, étranger dans la société, par rapport aux autres. Il laisse voir une certaine indifférence, lors des funérailles de sa mère. Il semble dépourvu de sentiments envers Marie, la femme qui l’aime. Il ne juge pas ni ne réagit devant le comportement d’un voisin qui bat sa femme (Raymond) ou son chien (le vieux Salamano).Meursault est étranger à lui-même, coupé de ses sentiments : intelligence et émotions ne semblent pas se relier. Ses attitudes ne reçoivent pas d’explication; il agit sans réfléchir, sans qu’il ne puisse justifier son comportement. Le sens de ce qui se produit lui échappe. Nonchalant, indolent, il vit déconnecté de la réalité. Sourd et muet presque:

“Le directeur m’a encore parlé. Mais je ne l’écoutais presque plus. Puis il m’a dit: « Je suppose que vous voulez voir votre mère. » Je me suis levé sans rien dire.” (p.12)

Absurdité source d’étrangeté

“Tout cela ne veut rien dire“, dira encore le narrateur. L’étrangeté se traduit par une absurdité, une absence de certitude, le dénuement d’un homme face à un monde sans raison apparente. La vie n’a pas de sens. En témoigne ces expressions qui scandent, rythment le récit: “Je ne sais pas quel geste j’ai fait” (p.15), “je ne savais pas si je pouvais le faire” (p. 17), “je ne me souviens plus de rien” (p. 29), “ce n’est pas ma faute” (p.31), “cela ne signifiait rien” (p.33), “cela m’était égal” (p.51), “cela ne voulait rien dire” (.55), “cela m’était égal” (p.58, 63, 64), “cela n’avait aucune importance” (p.64), etc.

Du soleil à la nuit

Surgit l’inattendu, le bouleversement, la rupture : le meurtre de l’Arabe, sans raison. Se succèdent les interrogatoires, l’emprisonnement, le procès, la condamnation à mort, le rejet de la religion. Tout prend alors un sens. De manière paradoxale, c’est de la privation de liberté – l’emprisonnement, que l’homme se révèle à lui-même; c’est de la solitude que survient la révélation, c’est dans l’ombre et la nuit que naît, et va peut-être mourir un homme.L’Arabe, c’est l’étranger en lui, une part de lui-même que l’homme abat de cinq coups de revolver.Le monde existe, l’univers est. Et il y a une différence entre ce qui est et ce qui doit être. L’absurde est en cela primordial : a priori, rien n’a de sens en soi. Il n’y a de signification que celle que l’on donne à l’existence, comme on donne un sens à sa vie. L’homme est totalement libre dans son choix.

Illumination

Le parcours de Meursault est exemplaire. Il nous conduit de l’ensoleillement, de l’éblouissement des premières pages, de l’aveuglement (la scène du meurtre) à l’emprisonnement, à l’ombre, l’isolement, l’apparition de la nuit aux dernières pages du roman. À ce passage répond le trajet d’un homme qui vit dans un monde absurde en pleine lumière et mourra peut-être au sortir d’une nuit, où il a vu apparaître une lueur, briller une lumière, après avoir rejeté l’illumination de la foi religieuse.L’homme mourra peut-être réconcilié avec lui-même.Tout concourt au chef-d’oeuvre. Une histoire ténue mais tendue, une écriture sèche, immédiate; une intelligence. 

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