Adolescence, Anorexie, Chronique, Enfants, France, Récit

Fixer le ciel au mur

Tieri BRIET, Fixer le ciel au mur

Léan, 17 ans, est anorexique. Elle entre début août dans une maison de soin psychiatrique. Elle veut profiter de ces vacances pour reprendre des forces avant la rentrée scolaire, laisser ses ombres derrière elle et… peut-être guérir. L’hôpital intime au père l’ordre de cesser des liens avec son enfant, afin de garantir des chances de guérison. Alors, désemparé, son père lui écrit, de longues lettres, en écoutant des chansons anciennes.

Bande sonore d’un livre

L’interprète d’une chanson est l’égide de chaque chapitre de ce récit. Nino Ferrer chante “Le sud”, Camille parle de sa “Douleur”, Daniel Darc se souvient dans “Je me souviens, je me rappelle”, et nous aussi. Ces paroles et musiques sont le prélude d’un texte dédié à l’adolescente hospitalisée; chaque chanson est le pré-texte d’une histoire faite de souvenirs et d’incantations.

“Des voix t’ont accompagnée à travers ton enfance: quelques dizaines de disques qu’on réécoutait soir après soir pendant des mois, des années de rengaines autour de ton premier berceau. Elles avaient fini par nous façonner un abri aux dimensions d’un nouveau-né. Un lieu chaleureux où nous pouvions habiter avec toi.” (p.55)

Cette bande sonore accompagne notre lecture et rythme le récit avec, pour point de départ, l’hôpital de Nîmes où s’engouffre la jeune fille, laissant le père seul au début du mois d’août. Les mélodies se succèdent pour rappeler

  • une enfance à Bruxelles, le départ pour Arles
  • la vie avec 4 enfants et sa nouvelle compagne, Noémie
  • l’apparition de la maladie
  • la naissance prochaine d’un nouvel enfant (Léann se creuse alors que le ventre de la belle-maman s’arrondit)
  • la tristesse d’un père séparé de sa fille.

Figures féminines comme tutelle

Les références abondent dans ce livre. Outre les mentions aux chanteurs connus, le récit cite des figures littéraires. Le tout forme un contexte au récit, commun, partagé avec nous :

  • Valérie Valère, qui avait 16 ans lorsqu’elle décrivit l’anorexie dans un livre poignant “Le pavillon des enfants fous”, qui a succombé à 21 ans de “l’empêchement d’être vivante”;
  • Hannah Arendt, juive, apatride, fuyant l’Allemagne nazie, qui n’a jamais cessé de vouloir comprendre (le nazisme, l’antisémitisme, l’horreur de la Shoah);
  • Musine Kokalari, écrivaine albanaise emprisonnée pendant 15 ans sous la dictature, dont le combat contre l’adversité fut exemplaire.

Cette tutelle féminine représente “quelque chose d’irréductible offert en cadeau” à l’enfant hospitalisée:

  • Valérie, soeur lointaine, amie bienveillante et fidèle;
  • Hannah, en fuite, échappée;
  • Musine, enfermée, combattante.

Un abri contre l’enfer

Face à la maladie qui atteint sa fille, un père s’entoure d’égéries et de chansonniers pour faire barrage au malheur. Échapper au mauvais sort, résister vaille que vaille à l’enfer. Attendre et se forger une volonté démesurée, à la mesure de la maladie ennemie.

“Les mots de la médecine ne sont pas encore prononcés, tu ne veux pas les entendre, les mots anorexie ou psychiatrie, moi je dis saloperie. La saloperie qui t’a presque détruite, abîmé tes cheveux et tes dents, sans t’empêcher d’aller vivre ta vie avec tes livres et tes rituels, l’envie de rire encore en toi.” (p. 39)

Un très beau récit, poignant.

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