France, Roman

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

Michel-Ange, peintre et sculpteur reconnu de la Renaissance italienne, se rend en mai 1506 à Constantinople.  Le sultan Bayazid et Ali Pacha, le grand vizir, le prient de réaliser les plans d’un grand pont sur la Corne d’Or. Cet ouvrage relierait les deux rives de la capitale ottomane, d’est en ouest, aux pieds de la majestueuse basilique de Sainte-Sophie.

Vers l’Est

L’artiste connaît la gloire après l’édification de son David à Florence. Il sculpte le marbre pour la réalisation du tombeau du pape Jules II, son principal commanditaire dont il dépend. Il quitte momentanément la cour du pontife et les intrigues de ses opposants, comme l’architecte Bramante et le peintre Raphaël. Il part vers l’Orient.Ce voyage s’apparente à une fuite. Constantinople devient pour Michel-Ange un lieu de retraite loin de Rome ou de Florence. Dans la capitale turque, l’artiste jouit de privilèges; il est entouré d’architectes et d’ingénieurs. Le poète Mesihi l’accompagne au quotidien à la cour du Grand Turc; il le guide dans la ville et les tavernes. Mais turcs ou romains, les puissants asservissent l’artiste, l’avilissent en le plaçant sous leur coupe. Constantinople se révèle une prison, une douce prison.Michelangelo Buonarroti, dit Michel-Ange, a peu d’expérience de l’architecture; il n’est pas ingénieur. C’est un sculpteur appelé pour qu’une forme naisse de la matière, s’élève au-delà de l’eau et relie deux rives. Il approche ainsi une culture ottomane, étrangère, qui influencera son œuvre par la suite.

La grâce et la tendresse

Lui si laid, il découvre aussi la passion pour une chanteuse andalouse de bas-fonds, dans les bouges de la ville où l’emmène Mesihi les soirs de débauche. Il s’étonne, lui plein de disgrâce, de la tendresse que lui témoigne le poète à son égard. La grâce et la tendresse lui apparaissent, alors que

“La vie ne lui a donné que peu de moments agréables jusqu’à présent; des années de travail acharné, de peines et d’humiliations” (p. 123)

Il quittera Istanbul, en secret, sans un sou, en laissant entre les mains du grand vizir les plans d’un pont à venir. Un tremblement de terre en 1509 frappera la capitale turque et détruira l’ouvrage de Michel-Ange à peine entamé.

Histoire et imagination

Ce livre est le récit d’une expérience longtemps ignorée dans la vie de l’artiste florentin, de faits incertains présumés et ici développés par l’auteur. Ces failles de l’Histoire donnent l’occasion à Mathias ENARD d’écrire une histoire en partie imaginée, dans un travail typique du romancier. Nous le suivons avec plaisir dans cette voie.—–Mathias ENARD, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, ed. Actes Sud, Paris, 2010, 154 p.

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