Chronique, Plage, Roman

Peine perdue

Olivier Adam, Peine perdue

Un livre ambitieux, un roman social, une grande fresque qui comprend plus de vingt personnages. Chaque chapitre est le portrait d’une personne qu’on voit resurgir au fil des pages, ici et là, au gré des événements.

En bord de mer

Tout se passe en bord de mer, à la côte d’Azur en hiver, durant un peu plus d’une semaine.
Au centre de l’histoire se trouve Antoine. Il entame et termine la succession des chapitres. Des hommes et des femmes s’agitent autour de lui. Ils entretiennent avec la figure centrale des liens forts ou distants. Des proches : père, ex-femme ou compagne, sœur, amis, coéquipier. Ou plus éloignés : président de club, entraîneur, …

Antoine joue dans le club de foot local. Buteur attitré, avant-centre turbulent, parfois violent, il est la gloire locale. Il sauve l’équipe de la plupart des naufrages. Il a terminé son dernier match au vestiaire, renvoyé par l’arbitre à la suite d’un coup de tête porté à un adversaire.Il loge au bord de l’eau, dans le camping déserté en cette saison. Il vit de petits boulots. Il repeint les caravanes pour préparer la prochaine saison touristique. Deux inconnus l’ont agressé sur la plage à coups de batte de base-ball. Un compagnon d’infortune l’a déposé devant les portes de l’hôpital, inconscient.

Un microcosme

Tout un monde gravite autour du patient hospitalisé, dans un fascinant microcosme. Parent, amis, amante; ex-femme, enfant, coéquipiers. Et puis, plus loin, évoluent des hommes et des femmes, patron, inspecteur de police, médecin.

  • l’équipe de foot qui, en son absence, participe au quart de finale de la Coupe de France;
  • Serge, qui s’est précipité au chevet de son fils hospitalisé;
  • Louise, sa soeur, qui compte se mettre en ménage avec Éric, l’entraîneur, pourtant marié et père;
  • Marion, son ex-femme, mère de son fils Nino, qui vit avec Marco, alors que tout l’attache encore au père de son enfant;
  • Sarah, serveuse à l’hôtel de la plage, une ancienne compagne.

Et puis les autres, tous les autres, qui forment un humanité bigarré. Des hommes et des femmes qui connaissent Antoine pour l’avoir fréquenté à l’école, dans les quartiers de la ville, ou pour partager un boulot.

  • Coralie, la collègue de Marion, femme de ménage à l’hôpital;
  • les deux petits vieux, venus à l’hôtel une dernière fois avant de mourir ensemble par noyade, pensent-ils;
  • Alex, gardien de nuit dans des entrepôts, boxeur amateur, qui entretient une relation avec Sarah;
  • deux petits malfrats qui font un casse dans l’usine lorsque Alex est de garde;
  • Delphine, la femme d’un malfaiteur, jeune mère dépassé par les cris de douleur de son jeune enfant;
  • Laure, médecin qui assure la garde à l’hôpital et qui assiste au réveil d’Antoine lorsqu’il sort du coma;
  • Léa, jeune fille égarée, mutique, recueillie à l’hôpital après avoir été retrouvée dans la mer lors de la tempête, qui fuit avant que ses parents ne viennent la chercher;
  • Perez, hommes d’affaire véreux, le président du club de foot, responsable de l’arnaque qui a causé l’agression subie par Antoine;
  • Grindel, l’inspecteur de police en charge des affaires du moment : le casse aux entrepôts, l’agression contre Antoine, ou la disparition de Léa;

Des héros du quotidien

Toutes ces personnes forment un monde en soi, comme enfermé dans les enceintes de la localité. Microcosmos à l’échelle humaine. Parfois salauds, flics ou ripoux, mais dont on perçoit quand même la part humaine; et puis les autres, les héros du quotidien, ces perdants magnifiques, tous ces gens pour qui c’est peine perdue. Battus d’avance, illustres ratés de l’existence, ils évoluent dans un monde trop petit pour eux, mal ajusté. Ou au contraire, ils vivent dans un univers trop grand, perdus dans le cours de la vie, à perte de vue. Il est difficile pour eux d’être à la hauteur; ils nourrissent “un goût pour les abîmes, cette rage douloureuse, cette susceptibilité exacerbée” (p. 155).

“Plus loin la ville se désagrège en villas montées sur roches tombant dans les flots turquoise : des kilomètres de paradis privés qui te font comprendre une fois pour toutes qu’ici comme ailleurs la mer et la beauté ce n’est pas pour tout le monde, qu’il y a une hiérarchie, des espaces réservés. Ils longent les murs hauts comme des maisons pour soustraire toute cette richesse à la vue des autres. De temps en temps entre deux propriétés, cerné par deux pointes de roche rose orangé, un petit croissant de sable couvert d’algues séchées s’ouvre sur l’horizon sans bavure.” (p. 60, 61)

Des hommes et des femmes comme tout le monde, qui se débattent dans l’existence, parfois effrayés, tantôt solaires, resplendissants dans un monde taille XXL. Avec les ennuis qui vont avec: chômage, petits boulots, les difficultés de couple, l’éducation des enfants, les amours impossibles.

Tous des gens qui marchent du côté de la rue à l’ombre, où ne brille pas le soleil. On éprouve pour eux une infinie tendresse, et c’est la force de l’auteur de nous faire ressentir un tel sentiment.

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Repris sous:Chronique, Plage, Roman
Références: Peine perdue, Flammarion, 2014, 414 p.
photo de couverture (c)Abi Massey / Moment / Getty images

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