Adolescence, Apprentissage, Psychanalyse, Roman

L’enfant bleu

Henri BAUCHAU, L'enfan bleu

Véronique Vasco est professeur de dessin et psychologue dans une institution pour enfants psychotiques. Elle prend en charge un patient, Orion, âgé de 13 ans, sujet à des emportements violents. Elle le guide dans l’expression artistique. La création aide l’adolescent à s’affirmer et s’émanciper. Il devient artiste, trouver sa voie, dans un monde pourtant difficile. L’appréhension du monde, dans les deux sens du terme : crainte et approche, dans une démarche de l’art-thérapie, par le dessin, la sculpture et la musique.

Roman d’apprentissage

Pendant plus de 12 ans, nous suivons le couple formé par l’analyste et son patient. Vrai roman d’apprentissage, avec Véronique pour mentor, le récit nous mène vers un dénouement d’affects dont se débarrasse peu à peu le jeune Orion. Un vrai roman, avec une intrigue, chaque action ayant son obstacle : la progression est difficile pour les protagonistes, mais une fin heureuse est à prévoir.

Cette évolution vaut pour les personnages principaux :

  • Orion, bien sûr, qui souffre de son comportement violent, lorsqu’il est victime de ses démons. Il se transforme grâce à l’expression artistique, et trouve une issue dans un monde fermé, lui « prisonnier du handicapé » (p.347) avec des « ailes de géant qui l’empêche de marcher » (p.125) ;
  • Véronique, qui l’accompagne dans sa démarche thérapeutique et connaît bien des difficultés dans sa pratique de psychologue : son propre passé, les réticences du monde médical, des opposants du quotidien ;
  • Vasco, le mari de Véronique, scientifique admiré qui s’adonne à la musique, se voue à sa passion et change de profession : il compose, s’affranchit de ses craintes, encouragé par Véronique, et connaît l’épanouissement personnel, le succès, la reconnaissance.

Démonologie. De la littérature comme une tauromachie

Ce livre est un vrai traité de démonologie. Le roman se place sous le signe de la tauromachie, comparée à la littérature par Michel Leiris dans son essai d’autobiographie, « L’âge d’homme ».

  • Le récit est rédigé en « je », et c’est Véronique qui parle, en une espèce de journal d’analyste. Aveux, confidences pour cette femme qui a surmonté bien des difficultés dans son existence : la mort de sa mère en couche, qui lui a donné la vie en mourant ; elle a connu la mort accidentelle de son premier mari, la perte d’un enfant aussi.
    La psychanalyse place la parole, l’expression langagière au cœur de la thérapie, telle la logorrhée à laquelle se livre Orion dans ses récits d’angoisse, dans ses combats contre le démon qui l’assaille. Or, Orion s’exprime en « on », incapable de dire « je », sinon sous la conduite de sa psychologue, in fine.
  • Le labyrinthe forme une figure centrale du roman. Orion le dessine, le peint, en parle. Le combat qui oppose Thésée et le Minotaure est crucial. Tuer le monstre, vaincre le démon est à première vue le but pour le jeune patient, et Véronique joue le rôle d’Ariane qui guide le jeune homme pour s’en sortir, trouver l’issue, s’extraire du labyrinthe. C’est le travail même de l’analyse, par l’anamnèse : conduire le patient pour sortir par là où il était entré : le ventre de sa mère ?
  • L’histoire est parsemée d’embûches, de périls en la demeure, d’oppositions et d’opposants qui barrent la progression des personnages : le démon y veille. Qu’il s’agisse d’Orion, de Véronique ou de Vasco, le devenir de chacun est indéterminé, l’intrigue est contrariée, l’évolution improbable. La poursuite d’un objectif rencontre des obstacles, et cela définit le principe du récit.

Structure fractale

En ce sens, la structure du roman est fractale, comme celle d’un chou romanesco. Le roman fractal est un récit dont chaque intrigue est aussi une histoire, dont chaque élément répond à l’autre. Tel un chou italien dont chaque bouquet prend la forme d’un autre bouquet pour former un ensemble bien compact.

Ainsi ici, dans ce roman, l’histoire comprend plusieurs histoires assez semblables. Véronique, Vasco ou Orion évoluent en un sens de la même façon, ce qui confère à l’histoire entière un même sens, une signification identique. Comme le chou italien, dont la structure est très serrée, le récit ici gagne du fait de cette organisation entremêlée, en miroirs. Cela se ressent lors de la lecture, parce que le lecteur au fil des pages lit en plusieurs destinées une même histoire, qui est aussi la sienne, universelle : son combat incertain avec son propre démon.

Et s’il s’agissait, à l’image de l’évolution d’Orion, non pas de combattre le monstre, mais plutôt de tenter de « vivre avec » ?
S’il est une morale, ce pourrait bien être celle-ci que nous livre ce roman d’Henri Bauchau.

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