Enfance, Famille, France, Plage, Roman

La légèreté

Emmanuelle Richard, La légèreté

Une jeune fille de 14 ans aspire à une légèreté soudaine. Elle passe des vacances d’été en famille à l’île de Ré. La veille du départ, elle a décidé que quelque chose allait se passer…

Que quelque chose se passe

Il se passe beaucoup de choses dans la tête de la jeune héroïne, peu dans sa vie. Le récit de ce pas grand chose s’égrène avec de brèves parties rédigées en “je” ou en “elle”. Les pages où la jeune fille est narratrice alternent avec celles où elle est l’objet d’un portrait de groupe : en famille. Il y a la réalité dans laquelle évolue l’adolescente aux côtés de ses proches, et puis ce qu’il en advient dans sa tête, en imagination. La jeune narratrice peint de manière crue ses parents, son milieu petit-bourgeois. Ses représentants : mère, père et frère sont en vacances et les travers apparaissent de plus belle, depuis le départ de Paris jusqu’à l’arrivée dans une maison de location située sur la côte nord-ouest. Le portrait de la famille devient parfois une vraie étude sociologique:

“Elle se détache soudain de la table pour regarder manger les siens à distance, elle comprise. Elle les voit de haut, elle se voit parmi eux. Ils ne se tiennent pas exactement de la même façon que les autres clients. Ils sont habillés sobrement mais malgré cela leurs gestes, empêchements, préoccupations, sujets de discussion les trahissent. “(p. 191)

L’esprit de la jeune ado est en éveil, fertile, aux abois. Elle veut que quelque chose lui arrive, ou plutôt, cherche quelqu’un. Ce quelque chose est l’envie d’appartenir, la sexualité adolescente, le rêve de garçons, un désir permanent. Tout, sauf l’ennui.

“Je regarde mes épaules qui commencent à bronzer. Je me demande si c’est ainsi que sera ma vie, une succession de tentatives ratées pour aller vers les autres, une ribambelle d’échecs se tenant par la main, pareils aux bonshommes en papier crépon de toutes les fêtes d’école du monde et des kermesses de la terre, sera-ce ainsi que je passerai ma vie, à me traîner péniblement, opiniâtrement, inlassablement, comme un bousier tenace, dans des lueurs troubles de bar, auprès de garçons et de filles qui ne me regarderont jamais.” (p. 100)

Quelque chose de Frankie Addams

Il y a quelque chose de Frankie Addams, dans cette jeune fille qui traîne son ennui dans les rues et places de l’île de Ré. Elle aussi se détourne de ses proches, s’éloigne et cherche autre chose : un homme chez Carson McCullers, un garçon pour Emmanuelle Richard. La correspondance avec le grand roman de l’écrivaine américaine se marque aussi dans cette envie d’appartenir à un autre monde, le souhait d’être membre de quelque bande ou communauté (“member of”). N’importe quoi, mais pas la famille, ses contes et légendes.

“C’est une histoire parmi tant d’autres, qui fait partie des contes familiaux sur lesquels tout le monde s’accorde pour enfermer irrévocablement la personnalité de chacun dans une forme au pochoir – ce genre de truc complètement circonscrit et figé et tuant. Et après, vous avez beau vous débattre pour essayer de prouver que vous n’êtes pas comme ça, rien à foire: l’opinion li votre propos ne bougera pas, la forme au pochoir ne changera plus, et vous pourrez vous brosser concernant la reconnaissance des vôtres, car personne ne prendra jamais la peine de réviser son jugement à la lumière des faits nouveaux” (p. 151)

Le rappel de la romancière américaine va jusqu’à cet air de piano entendu par l’adolescente au cours d’une pérégrination, un air de trompette chez Carson McCullers qui déchirait l’air de Colombus lorsque Frankie errait le soir à la recherche de fraîcheur dans la chaleur de l’été.

“(…) dans ce silence pesant, j’étais vraiment désolée, et tout à coup, un air de piano s’est déployé. Il a débouché d’une fenêtre comme dans un rêve, comme quelquefois les trêves après les orages. Une mer calme s’est dessinée, on a écouté la musique en communiant doucement.(p.134)

Autres références

D’autres références abondent, plaçant ce roman dans une lignée intéressante : Annie Ernaux et “Passion simple”, qui raconte à merveille combien aimer un homme n’est qu’attente (p. 169). On pense aussi aux films d’Eric Rohmer, à ses jeunes héroïnes au charme discret : “Pauline à la plage”, par exemple.A l’égal de ces références illustres, tout un film ou un livre parle de quelque chose qui n’est même arrivé. Il se passe si peu de choses… Mais quel charme!

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