Écriture, France, Roman

Pour Vous

Dominique Maynard, Pour vous

Delphine exerce le plus vieux métier du monde, dit-on. Elle ne fait pas commerce de son sexe, mais bien celui de son cœur, parfois celui de son corps. Elle se prête aux désirs de ses clients, dans le cadre d’une bien étrange entreprise : tenir compagnie à un mari divorcé souffrant de solitude, louer un enfant à aimer quelques instants par semaine pour une femme en manque de maternité, accompagner un vieillard impotent qui la prend pour sa fille, être mère porteuse pour le compte d’un couple en mal de parenté…

Tous des petits arrangements avec la vie, contre argent comptant, dans l’indifférence, sans sentiment. Avec presque altruisme, s’il n’y avait cette rétribution finale, elle est marchande de rêves qui console ou distrait de la perte d’un proche, d’une trahison ou d’une souffrance, anesthésiée, à défaut de guérir.”Parce que c’est mon métier de rendre les gens heureux”, dit-elle.
“Pour vous” est l’agence créée par Delphine avec, au cœur de son activité, la détresse de sa clientèle. Sa “petite entreprise” entretient l’illusion, une parenthèse enchantée.

Roman miroir

Dominique MAINARD nous présente ainsi, par un curieux biais, en considérant l’histoire de cette étonnante entreprise créée “pour nous”, l’art même du romancier! Car qu’est-ce que l’auteur d’un roman, sinon “quelqu’un à qui acheter l’illusion, le rêve” dont nous avons besoin? Qui est le romancier, si ce n’est la seule chose monnayable en l’espèce – on croirait le sexe, alors qu’il s’agit des sentiments! Delphine loue ses services pour être, l’espace de quelques moments, la petite fille d’une inconnue, la soeur, la maîtresse, la confidente des autres, ou porte un enfant dont elle n’est pas tout à fait la mère…

“Il n’est rien, en effet, dont nous ne fassions commerce”, dit-elle en commentant les activités de son agence, “la vie, l’amour, la mort”. Tels les grands thèmes développés par les plus grands romanciers, et ce développement est un commerce peut-être, mais surtout un merveilleux échange exercé par un auteur pour le plus grand profit de ses lecteurs. Delphine est mère porteuse, “détachée” de l’enfant à naître, telle une romancière qui garde une distance saine par rapport à son sujet. Mère indigne, mais sublime écrivaine. Delphine est femme de ménage pour un homme mourant, qui écrit dans ses derniers jours l’histoire de son amour pour Jones, un homme volage et inconstant. Ce gigolo a quelque chose en commun avec notre responsable d’agence, “le don de se plier aux gens et aux circonstances, l’indifférence aux moyens employés, et le cœur sec, bien sûr”, comme une pierre. Au contact de l’homme malade d’abord, puis de Jones, égérie masculine d’un moribond écrivain, Delphine vient à éprouver de l’affection, comme un écrivain se passionne pour son sujet. Elle qui fut pierre, “une pierre que le parfum n’arrive pas à attendrir”, “une femme sans cœur”, se découvre lors de la retranscription des cahiers rédigés auparavant par le mourant et que lui réclame son héritier – rédaction pour compte de tiers. Dans ce travail d’écriture, elle se révèle et se perd : elle annule des rendez-vous, perd de l’argent, … Comble de revirement, elle “offre” son œuvre à Jones et renonce à l’argent.

Une réelle écrivaine est née, et c’est à cette naissance, douloureuse, que nous invite à assister Dominique MAINARD.L’écrivaine est entrée de plain pied dans son roman. Rien de tel que d’être soi par le truchement de la fiction, comme Delphine réécrivant les cahiers d’Adorno en s’inventant différente à l’attention de Jones. Différente pour être enfin soi-même.Le roman se termine – Jones s’en va, que Delphine ne peut pas retenir, même contre de l’argent. L’agence est fermée définitivement. Á l’issue de neuf mois de grossesse, à l’approche de la naissance de l’enfant dont elle est porteuse, elle écrit à sa fille : le mot de la fin, la dernière lettre. D’autres mots, d’autres lettres devraient suivre. Pour nous.

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