France, Roman

Les heures souterraines

Delphine de Vigan, Les Heures souterraines

Un homme et une femme. Thibault est médecin de garde, il vient de quitter une femme qui ne l’aime pas. Mathilde est veuve et souffre de harcèlement moral sur son lieu de travail. Deux êtres en souffrance faits pour se rencontrer, peut-être.

Roman à deux voix

Roman duel, comme on parle de livre choral. Delphine de Vigan nous donne à lire bien plus que ce qui paraissait comme le livre sur le harcèlement au travail. Deux vies en parallèle, deux personnages évoluent dans Paris presque côte à côte, dont on pressent la rencontre imminente.Tous les mécanismes du harcèlement moral sont décrits. Thibault en est victime dans sa relation à Lila. Mathilde en souffre sur son lieu de travail, à cause d’un patron pervers qui monte graduellement une véritable machination à l’encontre de son employée : isolement, mensonges, manipulations, perte de sens; la honte ressentie, la dépression.L’histoire de Thibault, médecin urgentiste en mouvement entre deux patients, qui vit mal une relation affective négative, vient comme un écho, qui dédouble intelligemment le portrait de Mathilde. C’est une version masculine, différente, qui répond dans un effet miroir intéressant à l’histoire de l’héroïne et l’enrichit d’autant.

Une vie amputée

C’est un livre qui présente en creux la marque de l’amputation. Thibault est un homme dont deux doigts manque à la main gauche à la suite d’un accident de jeunesse. Terrible marque portée à son corps. Mathilde est veuve et mère de trois enfants; elle vit mal le décès de son mari, comme une amutation.

“Mathilde venait d’avoir 30 ans. Des mois qui ont suivi, elle garde peu de souvenirs. Ce temps anesthésié, amputé, ne lui appartient plus. Il est en dehors d’elle.” (p. 172)

La narratrice s’interroge par ailleurs sur le fait pour Thibault d’aimer une autre femme que Lila:

“Est-ce qu’au contraire, il est amputé de quelque chose? Est-ce que dorénavant quelque chose lui manque, lui fait défaut?” (p. 179)

Il en va du harcèlement moral dont est victime Mathilde, vécu comme une amputation. Il s’agit bien du rejet d’un membre du personnel, une rupture avec un corps social.Reste alors ce sentiment d’étrangeté pour les deux personnages, pour un temps étrangers à eux-mêmes. Quelque chose s’est perdu: l’affection pour un être disparu, l’amour pour une femme qui nous laisse seul, le sens d’une existence professionnelle. Reste l’assomption de la perte en guise de délivrance.—–

Livres du même auteur:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *