Apprentissage, Italie, Roman

Emmaüs

Alessandro Baricco, Emmaüs

4 jeunes adolescents fréquentent une même école, jouent de la musique, professent une même foi catholique. Mais ce qui les unit vraiment, de manière forte, pour leur propre perte, c’est leur fascination pour la belle Andre.

Une reine

Andre, c’est une reine, magnifique, lointaine. Elle n’appartient à personne et se donne pourtant à plus d’un homme, quand bon lui semble. Elle est la promesse d’un bonheur inestimable, et derrière elle elle sème le malheur. Elle causera la perte des quatre jeunes gens, poussant chacun d’eux à rude épreuve, menant Bobby, le Saint ou Luca vers la drogue, un meurtre ou le suicide.

“Mais une personne qui a commencé à mourir ne s’arrête jamais, et maintenant nous savons pourquoi Andre nous attire au-delà de tout bon sens, et malgré toutes nos convictions. Nous la voyons rire, ou faire des choses comme se balader en scooter, caresser un chien – certains après-midi elle traîne avec une amie, main dans la main, et elle a des petits sacs dans lesquels elle met des choses utiles. Toutefois nous n’y croyons plus car nous avons à l’esprit ces moments où elle tourne soudainement la tête en cherchant quelque chose, les yeux terrorisés -de l’oxygène. Même la grâce qu’elle a, le cou renversé en arrière, le menton relevé -la grâce de se tenir ainsi. Sur le fil d’une rivière invisible. Et chacun de ses égarements, imprononçables ou indécents, gui nous laissent sans voix. Ce sont comme des éclairs, et nous les comprenons.C’est qu’elle meurt. Andre -meurt.” (p. 28)

Une attraction trop forte

L’attraction est trop forte, obsédante, irrépressible. Bobby joue de la guitare comme un dieu lorsqu’il joue pour elle, alors qu’elle danse comme Salomé devant Hérode. Le Saint qui s’en approche comme un homme de foi qui croit sauver une âme perdue. Luca qui s’imagine être le père de l’enfant que porte Andre.Ils ne s’aperçoivent de rien. Comme ces pèlerins d’Emmaüs qui rencontrent près de la ville le Christ ressuscité. Ils ne le reconnaissent pas, en lui parlant de la mort de Jésus qui les afflige. Ils restent dans l’ignorance.

Le malheur qui s’annonce

Comment ces 4 garçons pouvaient ignorer, ne pas voir, ce qui se passe dans chaque famille à l’approche d’Andre, les drames à venir,  la désolation proche? Tout est sous leurs yeux et ils ne veulent pas voir le malheur qui s’annonce, l’instabilité qu’elle crée, la perdition. Ils sont allés trop loin au contact de la jeune femme sans plus espérer revenir en arrière. L’enchantement est tel que le sens commun les quitte, les poussant dans les dernières limites.Seul le narrateur, plus tard, garde l’esprit sain pour nous livrer son récit, remonter le fil, faire un travail de mémoire, en quête du dernier moment de stabilité avant que tout s’embrouille. Il est le survivant qui porte en lui le souvenir de ses amis disparus. Il nous livre le beau récit de l’innocence perdue.Bel ouvrage, court récit qui n’est pas sans rappeler “Le jardin des Finzi-Contini” de Giorgio Bassani, chronique rétrospective des relations et des amitiés entre des jeunes gens de Ferrare dans les années 1930 et, en parallèle, l’évocation de la montée du fascisme en Italie jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Un monde s’achève, et c’est une perte énorme, à l’égal d’un paradis perdu.

Livres du même auteur:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *