Autobiographie, Avortement, Enfance, Intime, Récit, Roman

Bad girl

Nancy HUSTON, Bad girl

Entre fiction et réalité, l’auteur parle de soi. Elle s’adresse à elle-même par le biais d’une autre, Dorrit : bébé, fille et femme, à tous les âges, adulte, celui de l’enfance ou même de la vie in utero.

Pedigree

Nancy HUSTON utilise le “tu” dans ce récit qui dresse son portrait dans de courts chapitres, avec un style sec et sans appel. Elle retrace son parcours depuis la vie fœtale, lorsque sa mère voulait avorter. Elle remonte à ses origines familiales : parents et grands-parents. Elle établit en outre les affinités qui la lie avec une famille d’adoption, des auteurs ou artistes. Elle cite alors Anne Truitt, Samuel Beckett ou Camille Claudel. Comme Modiano pouvait le faire dans Un pedigree, HUSTON définit son “pedigree”, sa race, en s’appuyant sur ses confrères ou consœurs en littérature, Romain Gary ou Annie Ernaux par exemple, tous professeurs de désespoir.

Le récit est sombre, et le rappel des faits marquants dans l’existence de HUSTON, accablant:

  • sa mère souhaite avorter , car l’enfant in utero est un problème:
  • l’enfant à naître s’accroche et naît dans une famille dysfonctionnelle, éparpillée
  • le père est dépressif, en manque d’argent, éternel étudiant, en proie à des problèmes mentaux;
  • la mère irresponsable, hystérique, abandonne famille et enfants pour reprendre ses études

Famille, je vous hais

La famille, de la sorte est le thème romanesque de prédilection.

“Se faire avorter ce n’est pas ton problème. Ton problème, c’est être toi, en vie grâce à un avortement raté.” (p. 29)

Dorrit s’accroche, comme après près de 9 mois, veut sortir. Samuel Beckett est un père en littérature, car il imaginait le bébé dans le foetus “coincé, emprisonné et incapable de s’échapper, il pleure pour qu’on le laisse sortir mais personne n’entend, personne n’écoute” (p. 101)

L’enfer, ce ne sont pas les autres, c’est la vie, surtout la vie familiale. L’auteure n’aura ainsi de cesse de fuir sa famille, sa mère patrie. HUSTON, canadienne d’origine, s’établira très tôt en Europe : Allemagne, puis la France, pour fonder alors sa propre famille.

“Sacrée classe de littérature” (p. 129), dit-elle à propos de sa famille. Les livres renferment les cris, tous les échecs, les désespoirs du monde. Depuis le rejet de l’enfant par la mère, alors que l’interaction entre la maman et le bébé in utero est cruciale, avec l’enfance aux côtés d’un père absent (l’esprit dérangé) et d’une mère manquante, la question des origines est lourde à porter et sans réponse. Seule solution pour l’auteur cosmopolite:

“S’arracher tous les ans (voire plus souvent encore) à ce qui t’était familier. Déménager. Recommencer à zéro. Ailleurs.” (p.158)

Il faut bouger sans cesse. L’émotion est la motion, la motivation; elle est motrice, contrairement au traumatisme de l’enfance qui paralyse et fige de stupeur. La résolution du trauma n’est peut-être pas dans la parole, selon la pensée freudienne, mais dans le mouvement, des affaires de corps. Comme la danse, le théatre ou le yoga. Ou le fait d’écrire qui est un véritable geste.

Nancy HUSTON établit sa filiation avec ses maîtres en littérature, professeurs de désespérance pour qui l’écriture est une revanche:

“De façon générale, Dorrit, ayant été élevée sur des sables mouvants, poussée à droite à gauche, secouée de haut en bas sans pouvoir intervenir pour infléchir le cours des événements, écrire reflétera ton besoin de gouverner seule. De prendre seule toutes les déci- sions. De bâtir seule des univers sur cette fondation aérienne, immatérielle … et donc d’une solidité à toute épreuve : les mots. ” (p. 207)

Terrible récit, très attachant, brillant. Essentiel.

 

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