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La méthode Schopenhauer

Irvin Yalom, La méthode Schopenhauer

Apprendre à mourir

Julius Hertzfeld est psychothérapeute à San Francisco. Veuf, âgé de 60 ans, il apprend qu’il va mourir. Il souffre d’un cancer de la peau à un stade avancé. Il lui reste un an à vivre.

Que faire en attendant l’instant fatidique? Passé un moment de désarroi, il entend poursuivre son travail de thérapeute auprès de ses patients et, notamment, dans son groupe de travail qui réunit six hommes et femmes. “Seul un guérisseur blessé peut vraiment guérir” (p. 304).

Julius Hertzfeld souhaite aussi rencontrer d’anciennes personnes qu’il a aidées en thérapie par le passé. Que leur a-t-il apporté? Ou que ne leur a-t-il pas apporté? Il pense ainsi à Philipp Slate, un patient rétif, obsédé sexuel compulsif dont la thérapie fut un échec. Cet homme est devenu philosophe et prétend avoir guéri de ses pulsions grâce à la philosophie de Schopenhauer. Il veut devenir thérapeute philosophique et venir en aide à des patients à son tour. Julius et Philipp tombent d’accord : Philip participera à la thérapie de groupe initiée par Julius pour préparer ses nouvelles fonctions de thérapeute philosophique. Alors, et à cette seule condition, Julius supervisera le travail de Philip.

Unité de temps et de lieu

Commence alors en une seule année et en un seul lieu la thérapie de groupe en la présence de Philip, sous la supervision de Julius. Une année à vivre, qui se résume dans les différentes séances de travail, confinées en un seul endroit où se réunissent les patients. Cette constante temporelle et spatiale assure au récit son unité.

Le récit fonctionne en lasagne. Il alterne séances de groupe et histoires de Schopenhauer. Les chapitres se succèdent, par couches successives, avec les échanges des personnes en cure et les anecdotes se rapportant au philosophe. Apparaissent également des interludes, tel le voyage en Inde de Pam qui sort ainsi de l’espace de thérapie un instant, mais pour mieux y revenir par la suite.

Interaction émotionnelle

Au cours du travail thérapeutique, les personnages interagissent. Ils échangent leurs émotions, évoquent leurs tracas, révèlent des secrets enfouis et, de par l’interaction entre les personnes présentes, comprennent leurs affects. Il y a Gill, alcoolique qui a des difficultés de couple; Bonnie, complexée; Tony et Pam, qui nouent une relation fort proche; Rebecca, et tous les autres.

Et puis il y a Philip, qui, dans la vie, à l’image de Schoenhauer, misanthrope maladif, veut désirer le moins et savoir le plus. Il s’est construit une maison mentale pour y vivre seul contre tous. Mais il y fait froid, dans cette demeure, terriblement froid.

” Mais si vous voulez vraiment être conseiller, vous devez absolument intégrer la société des hommes. Je vous rappelle beaucoup, je dirais même la plupart, de ceux qui feront appel à vos services professionnels auront besoin d’être aidés dans leurs rapports avec autrui. Si vous voulez être un bon psychothérapeute, vous devez devenir un expert sur ces questions-là. : il n’y a pas d’autre choix.” (p.402)

Le livre vaut par ce face-à-face entre Julius et Philip, que tout oppose. L’un est le contraire de l’autre et ils se révèlent l’un à l’autre d’autant mieux par cette opposition. Tous les deux sont en retrait : Julius, le thérapeute, est tout écoute active et participe peu, sinon pour entretenir l’interaction émotionnelle au sein du groupe. Philip, lui, est silencieux et s’est retiré, retranché dans sa solitude, à l’écart de la société et du groupe. Cette interaction entre les deux personnages est centrale, primordiale pour le récit : Julius fait naître en Philip l’expression de ses sentiments, et Philip permettra à Julius de mourir en paix, une fois le travail thérapeutique terminé. Naissance à la vie et mort.

Comment faire un bon roman avec de la psychologie et de la philosophie? On connait des récits prenant pour fil conducteur les confidences, l’évolution d’un individu en analyse. On voit ici une thérapie de groupe devenir le moteur du roman, lieu de l’évocation des émotions et des interactions interpersonnelles.

 

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